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Writer’s life (24)

J’ai passé une partie de l’après-midi à relire Les Vagues de Virginia Woolf pour retrouver une phrase qui m’avait marqué à première lecture, dans une de ses versions françaises. Ce genre de phrases qui vous touchent, vous font jubiler à lecture et qui donnent envie de ne jamais se séparer des romans qui les contiennent. Déception en retrouvant la phrase dans la « nouvelle » traduction du livre : « Je n’ai pas déjeuné aujourd’hui pour que Susan me trouve cadavéreux et que Jinny étende jusqu’à moi le baume infini de sa compassion. » What the fuck ? Instinctivement, je me sens trahis dans mon émotion première. Même si j’adore l’idée, comment ai-je pu me laisser bouleverser par une phrase si…cadavérique en français. Je vérifie dans la version anglaise : « I have eaten no lunch to-day in order that Susan may think me cadaverous and that Jinny may entend to me the exquisite balm of her sympathy. ». Hum. Cadaverous, indeed. En fait, il me faut aller repiocher dans la version traduite par Marguerite Yourcenar : « Je n’ai pas déjeuné ce matin afin que Suzanne me trouve livide, et que Jinny étende sur moi le baume exquis de sa sympathie ». Je préfère mille fois que vous me trouviez livide si je n’ai pas déjeuné ce matin sachant que je vous verrai, et mille fois que Jinny étende sur moi, plutôt que jusqu’à moi, le baume exquis de sa sympathie. Il faut faire attention au moindre mot écrit. Tout change au moindre mot. Tout dépend du moindre mot. Perso, je peux trembler pour un des moindres mots. Et honnêtement, quand c’est Marguerite Yourcenar qui fait une traduction, pourquoi chercher à faire de nouvelles traductions ? J’aime comme sonne le « livide » dans cette phrase. J’y suis tout entier. Dans le livide mon cœur qui bat échappe au cadavre des jours, au cadavre du manque, au cadavre de tout.

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