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Affichage des articles du juillet, 2020

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  Writer’s life (136) En route avec les Nocturnes Littéraires pour le village de Josselin en Bretagne, alors qu’apparaissent devant nous les remparts et les hautes tours du château médiéval garnies de meurtrières, je fais une annonce dans le bus : « Baissez-vous, soyez sur vos gardes, parce qu’ils proposent pour les enfants une expérience immersive au moyen-âge qui consiste en une activité tir à l’arc avec des flèches enflammées et des jets de sceaux d’huile bouillante, et, d’année en année, on perd quelques auteurs. Même des auteurs prometteurs... » Clothilde (B) me dit que parfois elle passe son temps à fabriquer des phrases, non seulement pour ses livres mais aussi pour la vie de tous les jours. J’ai trouvé ça très beau. Elle me dit aussi : «Dans ma vie de tous les jours, je fais attention à ce que tout le monde soit bien, et, la plupart du temps, c’est juste épuisant. » Hum. Je pense, aussi, créer autant de moments que de textes ou de projets. La création de moments est quelque cho

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  Writer’s life (135) Ma série télé de l’été : Pen 15. Mon groupe de l’été : The Greeting Committee. Sans doute mon groupe préféré du moment. Pas aimé autant de chansons d’un seul et même groupe depuis les indétrônables (et + sombres) The National. Tard dans la nuit, dans ma chambre d’hôtel, je regarde une rétrospective sixties de top of the pop sur la BBC2. Au programme : Procol Harum et Jimi Hendrix. Laurence, libraire à Sarzeau, me raconte qu’une personne est entrée dans sa librairie, et après en avoir fait un tour avisé et gourmand, est arrivée en caisse avec deux livres : « J’aurais voulu être un Beatles » et « Alcie et la forêt des fantômes chagrins ». Laurence me dit : « Je lui ai fait remarquer que c’était la même personne qui avait écrit les deux livres et le client ne s’en était pas aperçu. Dans toute la librairie, il avait juste choisi les deux livres qui lui plaisaient le plus. » Cette anecdote, c’est comme un prix littéraire à l’échelle d’une petite librairie.  Le sympathi

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  Writer’s life (134) En lisant en diagonale les news ce matin j’ai crû une fraction de seconde que l’un des titres était : «Gabriel Matzneff remporte le marché des trottinettes à Paris ». Si heureux de reprendre le chemin des dédicaces, des rencontres avec les lectrices et lecteurs, mais c’est comme une course contre la montre avec les mauvaises nouvelles. Ce matin la date de Quiberon s’annule à cause d’un nouveau cluster : un bar qui a organisé une soirée dansante. Comme dirait Jean-Paul (D) : « Je ne vois plus l’humanité que comme une masse aveugle privée de bon sens ». Pendant que j’écris ces lignes dans le hall d’un hôtel à Vannes placé sous vigilance sanitaire, Jean-Jacques chante dans la radio : « Clouer les portes, s’emprisonner ».  Hier soir en rentrant de la dédicace à La Trinité-sur-Mer, regardé une émission sur la BBC2 sur les années 80, qui célébrait la commercialisation du toaster et de ses super sandwichs au fromage, et d’un type qui racontait qu’il

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  Writer’s life (133) Dans le 12ème arrondissement de Paris, il y a un délicieux petit resto vietnamien qui fait vente à emporter. J’y entre ce midi pour acheter de quoi déjeuner, quand un client - un type imposant affalé à une table - bougonne de manière délibérément audible : «Ils sont de + en + petits les bobuns ici ! Radins, va ! ». Pris de court par ce « Radins, va ! » les commerçants répondent par le sourire, puis l’un des patrons va même jusqu’à apporter une ration supplémentaire et gratuite à l’odieux client. Je reste interdit, complètement médusé et rempli d’un fort sentiment de honte. Honte que ce type se soit comporté ainsi. Comment peut-on être si dépourvu de décence pour oser réagir ainsi ? Aujourd’hui, c’est terrible, les gens se répandent tellement, n’ont plus aucune gêne de leur bêtise, leur violence, leur capacité à l’insulte, ou leur exhibitionnisme. Je sors du restaurant totalement déprimé et pense à Stéphane Caglia, le héros de mon

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Writer’s life (132) Alix me dit : « De toute façon, cette année, c’est l’année des rendez-vous manqués. » Je suis bien d’accord, je dirais aussi qu’écrire c’est faire cas et rendre un peu de majesté à tout ce qui est perdu dans tout ce qui est manqué. Dans « Alcie & la forêt des fantômes chagrins », il y a quelque chose qui a pour moi à voir avec l’essence même de la littérature. Et même si le livre est destiné aux enfants - contrairement à nombre d’adultes, ils voient souvent + loin que leur âge ne le leur permet - donc, à un moment, Alcie va enterrer son chagrin dans la forêt, et, dès la nuit suivante, elle s’inquiète pour lui, se dit que c’était quand même bien d’avoir un petit chagrin rien qu’à elle, elle s’y est attachée, son chagrin l’a fait grandir dans le bons sens (oui), et elle a peur qu’il prenne froid en pleine forêt la nuit, elle décide d’aller le chercher. Or, une fois dans la forêt, les feuilles du tas sous lequel elle l’avait enterré sont disséminées au vent, le c

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Writer’s life (131) Il y a deux directions pour moi dans l’écriture d’un roman, ce qui se travaille et ce qui apparaît. Et encore, quand je dis, ce qui se travaille, j’ai envie de dire ce qui apparaît en travaillant. Maintenant que l’écriture est terminée et que je laisse reposer comme une pâte cette première version, je pense à mon roman qui repose. Oui, je voudrais le dire comme ça, un peu comme cette phrase merveilleuse de Bonaparte citée par Robert Bresson dans ces notes sur le cinématographe : « Je fais des plans de bataille avec les rêves de mes soldats endormis. » Donc, je pense au roman qui repose, et il y a des phrases qui surgissent dans la vie de tous les jours et qui viennent parfaitement s’intégrer dans le contexte du roman, ou alors elles viennent parce que le roman continue à s’étendre en moi. Par exemple, cette phrase qui m’est venue l’autre soir et qui s’y inclue parfaitement : «Moi qui ne suis moi-même qu’avec elle, je la regarde être elle-même avec les autres ». Cet

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Writer’s life (130) Je peux rester de longues minutes à me perdre dans la contemplation de l’univers (de douceur) contenu dans un dessin de Fred Bernard. Pour moi, un roman, c’est la juxtaposition de deux photographies : la photographie de celui que vous êtes au moment où vous écrivez le roman, et la photographie de celui que vous êtes depuis toujours (enfance et adolescence comprises). Atelier d’écriture « Poésie du quotidien » à l’école Les Mots, je propose aux participants un exercice poétique assez cadré, et une des filles lit un truc magnifique. «Wah ! C’est beau ! » dis-je avec jubilation. Elle me répond dans une petite grimace désolée : « C’est beau, mais ça ne respecte pas les règles. » Je réponds : «À partir du moment où c’est beau, on s’en fout un peu des règles. Quand je vois une fille que je trouve jolie dans la rue, je ne vais pas la voir pour lui dire : Mademoiselle, je vous trouve très belle mais vous ne marchez pas sur le passage piétons, ce n’est pas bien, vous ne re

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Writer’s life (129) Dans l’un de mes ateliers d’écriture à l’école Les Mots je lis un aphorisme de Cioran et une des stagiaires s’exclame spontanément : « Mais ! C’est plein de présupposés faux ! » J’ai adoré ce commentaire parfait, un cri du coeur venant assassiner comme il faut un aphorisme représentatif de l’oeuvre de Cioran. Il y a quelque temps de cela, on m’invite à intervenir dans un stage de formation à de jeunes artistes, je raconte entre autres choses qu’après avoir rencontré un jeune artiste à Astaffort nous décidons ensemble de faire un hit et la chanson se retrouve à la fois en rotation sur NRJ et France Bleue. Je dis ça dans une formulation enlevée, spirituelle mais pas que, « on s’est rencontré et on a décidé de faire un hit », la classe quoi, quand intervient en me coupant la parole une manageuse d’artiste qui me rentre dedans en prenant le truc au premier degré et hurle dans un rire outrancier : «Vous n’avez rien décidé du tout, tu as eu de la chatte c’est tout !».

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Writer’s life (128) X qui se répand en déclarations sur la nécessité de défendre la librairie indépendante, et qui ne résiste jamais à faire une capture d’écran, qu’elle partage aussitôt sur tous les réseaux, dès que son livre entre dans le top 50 d’Amazon. La semaine dernière une stagiaire de mes ateliers d’écriture me racontait qu’elle exaspérait son boyfriend de l’époque en écoutant en boucle : « Le jeune homme changé en arbre ». Elle avait acheté « Comme elle se donne » et s’étonne encore aujourd’hui que le disque ne soit pas passé davantage à la radio, qu’il n’ait pas connu + de succès. En fait, cela ne s’est simplement pas produit. Il y a peut-être une dizaine de personnes du secteur qui auraient pu changer la donne, si je puis dire, et elles n’ont pas été au rendez-vous. Des personnes influentes qui ont juste ignoré mon travail, décidé de ne pas en parler, ou qui n’ont simplement pas pris ça au sérieux. À défaut, il aurait peut-être fallu continuer à occuper le terrain, ardemmen

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(127) Ma vanne de la journée : je prends un café chez une amie qui peste contre sa machine à laver, je lui dis : tu connais le seul point commun entre la machine à laver et les mecs ? Je ne connais aucune fille qui est satisfaite de sa relation. Fin d’après-midi à préparer ma nouvelle semaine d’ateliers d’écriture à l’école « Les mots » (huit nouveaux participants). Aude m’offre le « Petit éloge du surf » de Joël de Rosnay. Elle me dit : J’ai hésité à te le donner car je t’imagine mal sur une planche de surf ». « Pardon ? » « Oui, confirme-t-elle, je t’imagine plutôt sur un sac avec une guitare ». « Sur un sac avec une guitare ? » Aude se défend d’avoir prononcé le mot sac, mais j’ai entendu « sur un sac avec une guitare », comme une sorte de hobo, quoi. Il y a dans ce « Petit éloge du surf » une photo totalement érotique de Joël qui en 1963 donne une leçon de planche à Catherine Deneuve. C’est une raison valable, j’imagine, de laisser un océan vous engloutir a

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(126) Beaucoup d’émotion à quitter les stagiaires du premier module que j’ai créé à l’école Les Mots. Toujours ces aventures de la création qui en plus de l’hyper sincérité qui s’y joue donne aussi un espace, une dimension à la fois exigeante et bienveillante où chacun trouve sa place et est protégé par ce qu’il produit. Traversé Paris en écoutant au casque les mix de Duncan. J’écoutais la narration, les chansons, et avais sous les yeux les chorégraphies de toutes ces jeunes filles qui investissent le parvis de la bibliothèque de France le samedi après-midi et le partagent en salles de danse à ciel ouvert. Il y avait une adéquation parfaite entre les chansons que j’avais dans les oreilles et la chorégraphie de la ville qui défilait sous mes yeux. Le livre-disque devrait partir en fabrication cette semaine. Une amie me parle d’un type qui est l’archétype du « Sexy soulant ». « C’est-à-dire, m’explique-t-elle, qu’il est sexy, qu’il pourrait être éperdument sexy