Articles

Affichage des articles du mars, 2020

102

Writer’s life (101) Au milieu des années 80, mon père a vu Michel Hidalgo porter à la télévision un maillot blanc à rayures bleues. Il s’est mis en tête de porter le même maillot que Michel Hidalgo et a fini par le trouver. En fin d’après-midi, pour travailler dans son jardin, passer le jet d’eau sur les fleurs, il arborait son maillot aux couleurs du sélectionneur de l’équipe de France. Mon père était un grand sportif : joueur de foot au Racing club de Paris, médaillé d’athlétisme dans sa jeunesse, joueur et organisateur de tournois de tennis, quand il a pris sa retraite de l’aviation civile ses collègues lui ont offert un vélo de compétition. Je pense qu’il a été triste toute sa vie que son fils unique soit une bille en sport, la corvée que c’était pour moi d’aller au tennis le mercredi après-midi, et si je m’y pliais de bonne grâce c’était pour faire plaisir à mon père et parce qu’une fille des environs qui me plaisait jouait dans le même cours. Mon père a fini par accepter mon tot

101

Writer’s life (101) Période épuisante. Rendez-moi le pouvoir de tomber légèrement dingue de filles frôlées dans les fêtes, aperçues dans la rue, examinées en douce pour une parole échappée dans une conversation au café, rendez-moi la possibilité qu’une fille qui me plait s’endorme sur mon épaule au retour de quelque chose d’intense, rendez-moi le soleil intérieur, la brûlure que je tais, rendez-moi la pâleur de prier en secret pour qu’une fille dont la présence sur terre me bouleverse s’assoit à côté de moi dans un bus ou un train, à l’arrière d’une auto, rendez-moi ce que je préfère dans l’existence et que je n’ai jamais dissocié de l’écriture. Ce nouveau rituel : prendre des nouvelles sur Facebook des ami(e)s ou connaissances contaminés par le virus (de + en + nombreux), lire aussi les journaux intimes qui pullulent sur la toile. J’ai toujours eu un goût pour le journal intime en tant que genre littéraire. J’ai tenu le mien en ligne de 1998 à 2014. C’est un formidable terreau d’écr

100

Writer’s life (100) Les choses ne changent pas. Les filles qui aimaient se prendre en photo quasiment à poil dans des paysages adorables et poster leurs clichés sur Instagram continuent à se prendre à poil dans des intérieurs (plus ou moins) adorables. J’avance lentement dans l’écriture de mon prochain roman. Le temps qui passe fait partie du travail. Comme le thé doit infuser pour révéler sa substance. Comme le dit Sir Patrick Stewart dans la nouvelle série de l’univers Star Trek : «Earl Grey never fails !» Sauf que ce temps s’étire en angoisses sérieuses ou dérisoires. Cette phrase du Journal de Jean-René Huguenin qui m’a toujours paru d’une beauté inéluctable résonne encore plus fort aujourd’hui en ces temps de confinement général : «Les autres n’existent pour moi que transfigurés, c’est-à-dire lorsque je suis seul.» Tous ces gens qui prennent la plume pour attaquer Leïla Slimani, si brillantes soient leurs réflexions et leurs punchlines, ça me dégoûte. Ok, on ne prête qu’aux rich

99

Writer’s life (99) Ce virus qui nous punit de nous asseoir à-côté, et le temps qu’il nous plait, des personnes qui nous plaisent. Difficile d’écrire et d’intégrer ou de rejoindre ses fictions personnelles quand le quotidien nous plonge dans un scénario collectif digne de la science fiction. De + en + de connaissances ou d’ami(e)s contaminé(e)s. Même sortir faire quelques pas commence à me décourager (moi qui avais l’habitude de traverser Paris plusieurs fois par jour, et d’y trouver dans le mouvement, ou l’obsessionnalité, de mes pensées, et les visages rencontrés, matière à inspiration.) Il y a deux jours, au Journal télé un journaliste a interrogé une vieille dame dans la rue, lui a demandé si elle avait son attestation de sortie. La dame a répondu que non, elle n’était pas au courant, puis elle a demandé en retour, la voix pleine d’un espoir déçu par avance : «Ça veut donc dire que le café est fermé ? ». Elle a rebroussé chemin avec tristesse. Je ne sais pas pourquoi ce court mom

98

Writer’s life (98) Si c’est une guerre, comme l’a martelé le Président, c’est une guerre inédite où on envoie les blouses blanches au front, en première ligne, avec souvent pour seules armes des bâtons dans les mains. Inquiet pour un ami qui est à l’hôpital. Sans pouvoir rien faire d’autre que d’attendre des nouvelles, j’allume les petites bougies rapportées de Sainte-Anne d’Auray lors de la tournée des Nocturnes littéraires l’été dernier. Tout d’un coup dans les villes, des personnes renvoyées à une solitude qui n’a pas d’égal - autre que celle du DA d’une maison de disques ou du journaliste littéraire qui du jour au lendemain se fait virer de son poste et n’intéresse plus aucun de ses «amis » qui se pressaient des jours et des soirées entières pour lui cirer les pompes. J’avance dans l’écriture d’un roman mais moins vite qu’envisagé, il faut sans cesse évacuer le stress lié à la situation actuelle, et il y a aussi que, d’habitude, je pense que les personnes qui écrivent adorent fa

97

Writer’s life (97) Inquiétude en recevant les messages d’ami(e)s de + en + nombreux à être testés positifs au coronavirus ou à se mettre volontairement seuls en quarantaine après avoir fréquenté quelqu’un déclaré positif. Grande fatigue et désarroi, le contrecoup de toutes ces semaines de travail, d’emballement, d’excitation pour la sortie d’Alcie stoppée en plein élan. Charlotte et Fred me rassurent. Me disent que tout va reprendre de + belle dans quelques semaines. Il y a aussi les annulations successives de festivals et le chagrin de personnes avec qui j’entretiens des liens amicaux depuis plusieurs années. À chaque événement qui s’annule, j’ai l’impression d’être sur le pont avec les organisateurs, de partager leur peine et leur dépit. Ainsi, d’annulation en annulation, je commence à avoir le moral à fond de cale. Hâte de repartir sur les routes défendre Alcie et la faire connaître, hâte de pouvoir enfin voyager avec elle. Charlotte me demande si j’ai réussi à rejoindre un lieu

96

Writer’s life (96) Quand mon père est mort pendant la canicule de 2003, je me souviens qu’à un moment ils l’ont renvoyé à la maison. Plus assez de lits à l’hôpital. Bien sûr, lui, il était heureux comme un gosse de pouvoir revenir à la maison. Mais ça n’a pas duré longtemps. Il a eu des hallucinations à cause de la morphine ou de ce qu’on lui administrait contre la douleur. Ma mère a dû lutter toute la nuit pour qu’il ne rompe pas les fils qui le maintenaient en vie et ne tombe pas de son lit. Ce fut une véritable lutte. Elle était seule. Dès le lendemain, on ramenait mon père à l’hôpital où déjà, en 2003, faute de moyens, on entassait les gens dans les couloirs. Message de Sarah qui s’inquiète que je sois privé de ressources pendant cette période. J’avais heureusement un peu de sous de côté. J’ai toujours vécu au dessus de mes moyens, même si je dois faire preuve de réalisme depuis la mort de mes parents et me dire qu’il n’y aura personne de légitime pour m’aider en cas de coup dur.

95

Writer’s life (95) Temps étrange où les gens sont prêts à lyncher celles et ceux qui toussent sans mettre la main devant la bouche (pensée que je suis prête à mettre en application en temps normal). Marie me dit : « Je pense bien à toi et au « Petit éloge du baiser » sur lequel tu travailles ! Dans cette période où personne n’a le droit de se toucher ou de s’embrasser, ça doit être dingue de travailler là-dessus. En même temps, c’est beau, c’est stendhalien, tu peux tout miser sur la cristallisation ! ». « Oh, lui réponds-je, tu sais depuis ma prime adolescence il y a tellement de baisers qui sont restés au stade de la cristallisation que mon coeur ressemble à la Grotte des demoiselles (une grotte riche en stalagmites et stalactites. Hum !) Anne me dit : «Le bon côté de ce qui nous arrive c’est que tous les gens empêchés de se voir pendant des semaines vont se manquer, se désirer, se fantasmer, avoir une envie dingue de baiser ou de s’embrasser quand tout sera fini. ». « Oui, dis-je à

94

Writer’s life (94) En deux jours, la prudence a fait place à la raison qui donne raison à la panique réelle. X, qui a lu Alcie avec sa fille, me dit à propos de Y que cette pimbêche frivole mélange une part de ce qu’elle voudrait être avec une part de faux. Il y a des gens, me dit-elle, qui sont des anifaux. Retours enthousiastes sur Alcie : la poésie et l’interactivité du livre, le bonheur de le lire avec les enfants, et des ateliers spontanés de dessins d’anifaux qui peuplent l’après-midi en cette période de confinement. Après l’annulation des festivals, coup dur avec la fermeture des librairies. Des libraires très inquiets. Des écrivains privés de ressources financières pendant un temps indéterminé. Les deux choses qui vont vraiment cartonner avec le confinement : le service de streaming de Disney qui arrive le 20 mars, et, le porno en streaming, certainement. Acheté deux tablettes de chocolat à une fille très jolie (oui), et retourné m’enfermer dans le prochain roman. M’enfermer da

93

Writer’s life (93) Période bien sombre pour les écrivains qui ne sont pas touchés par la grâce d’un succès démentiel et dont les ressources principales concernent les rencontres, les interventions en milieu scolaire, les tables rondes etc. Déjà que nous avons eu les gilets jaunes et les grèves des transports. La saison dernière, pour la Petite sonneuse de cloches, j’ai dû annuler une demi-douzaine de dates, et dans les semaines qui viennent c’est pas moins d’une vingtaine d’événements rémunérés qui partent en fumée. Hum ! « Contre mauvaise fortune, bon coeur », dit l’adage. Je viens de retrouver une photo de l’arbre magnifique qui était du côté rue dans le jardin de la maison de Marsinval. Lui aussi est passé par tant d’hivers, et toujours il a su refleurir de plus belle. Mes parents aimaient tellement leur jardin et cet arbre. Je pense à ma mère qui ne s’est jamais laissée décourager par l’adversité. Moi, un rien m’effraie, comme depuis le jour où j’avais trouvé mon père étalé de tou

92

Writer’s life (92) Étrange dans le contexte actuel de commencer à travailler sur ce «Petit éloge du baiser » que m’a demandé Aude. Moi qui, dans l’adolescence et ce qui s’en suit, suis mort + d’une fois en dedans pour un baiser que je n’ai pas pu donner, ou échanger, j’ai la sensation aujourd’hui qu’un baiser peut conduire à la mort. Un baiser qui conduit à la mort, c’est vraiment la fin de la civilisation. C’est une file ininterrompue d’annulations : mes rencontres pour les romans, les interventions scolaires, les dédicaces en librairie, à chaque fois je prends et partage la tristesse et le désarroi de chaque organisateur. Dernier atelier d’écriture à Nancy. Beaucoup d’émotion avec les étudiantes et étudiants que je retrouvais deux fois par semaine depuis début janvier. Hier soir, ils m’avaient préparé une fête. Je n’avais pas bu de cherry coke depuis 1997. J’ai fait pas mal de blagues pour détourner l’émotion qui nous étreignait tous. En relisant les poèmes et textes courts produits

91

Writer’s life (91) Joli message de Marie qui me dit : «Mardi on t’a adoré pour toujours », dans mon rôle de maître de cérémonie au Prix Castel du roman de la nuit. Le lendemain, dès l’aube direction Montaigu pour les délibérations du Prix Ouest Jeunesse. Heureux d’être là-bas avec Patricia et toute l’équipe au lendemain du choc qu’a été la nouvelle de l’annulation du festival. Tout le pays semble s’effondrer de manière + ou - rationnelle et la culture, comme souvent, est dans les premiers à tomber. Dans le TGV, rencontre impromptue avec Jean-Yves qui m’annonce que ses concerts avec Michel Jonasz s’annulent également. Rencontre en médiathèque avec des enfants. Avec Fred, on réussit à faire un super tandem pour les captiver et les faire marrer. J’ai commencé par inscrire au tableau des tas d’équations incompréhensibles et j’ai dit aux enfants (entre 4 et 8 ans) : « Allez, on vous donne cinq minutes ». On a travaillé sur Alcie et les portraits d’anifaux, une des trouvailles du livre. Fr

90

Writer’s life (90) Rapporté à Deauville l’affiche encadrée de la couverture de « La petite sonneuse de cloches » que m’a offert Charlotte. Huit mois après sa sortie, le roman continue à avoir de la visibilité en librairie comme je l’ai constaté cette semaine au Hall du livre à Nancy. Je voulais profiter de deux trois jours sans déplacement pour travailler de façon intensive (tant de projets) et ai passé la plupart du temps allongé en raison d’un mal et blocage du dos atroce. Sans doute les soucis, les incertitudes, le stress liés à tous ces événements qui s’annulent à cause du virus (déjà que plusieurs événements se sont annulés à cause des grèves en fin d’année) dans une période où je sors deux livres (mon Beatles et Alcie). L’hiver est impitoyable. Pour tous les auteurs, dont je fais partie, qui n’ont pas table, colonnes, et micros ouverts dans les médias spécialisés ou généralistes, c’est la merde. Interrogé sur la soirée des Césars qui fait gonfler tant de commentaires. Ma réponse

89

Writer’s life (89) Dans le dos de Jessica et contre sa mise en garde, j’ai embrassé Claire. Une telle phrase pourrait être si charmante, mais totalement dénuée de soufre ou de charme si je la replace dans le contexte de la menace du coronavirus. Découragé par l’annulation de Livres Paris. Pour une fois que j’y avais un planning super puissant de rencontres autour de mes livres, et qu’on aurait pu y célébrer la naissance d’Alcie. Grande déception mais il faut voir les choses avec philosophie. Tatiana, qui fait son service de presse en même temps que moi, me remonte le moral. Pendant tout le temps du salon du livre de X, la fille à côté de moi n’arrêtait pas de distribuer des signets à la gloire de ses livres, chaque fois qu’une personne se risquait à passer devant les stands. Une fois, deux fois…Au bout de la cinquantième fois, j’avais envie de lui faire bouffer tout son lot. Elle a quand même vendu une demi-douzaine de ses livres grâce à ses foutus signets (sur une centaine distribuée