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Writer’s life (61)

J’ai toujours mis des personnes que j’aimais dans mes livres. Il y a des personnes, je ne peux pas leur dire dans la vraie vie : je vous aime. Je ne peux pas le dire parce que c’est trop. Alors je mets ça dans les livres. Le problème, ensuite, avec les livres ainsi habités, c’est qu’on ne sait plus vraiment où se situe de manière la plus juste la perception de « la vraie vie ».
La petite sonneuse de cloches aura donc plutôt fait figure de contre-programmation dans cette rentrée littéraire comme tout roman dont le romantisme assumé fait un peu bord cadre dans une société qui se spécialise dans le fait divers, la violence faite ou subie, et la douleur, alors qu’elle en déborde de partout.
Je participe à une très chouette rencontre menée par Philippe Chauveau en compagnie de Katherine (Pancol) sur la scène de l’opéra de Tours. À un moment, Katherine raconte qu’à New York dans les années 80 elle avait retrouvé la trace de Louise Brooks devenue vieille dame, s’était liée d’amitié avec l’interprète de “Loulou”, et ensemble elles avaient de grandes conversations. J’interviens pour dire à quel point je trouve poétique d’avoir de grandes conversations avec une star du muet.
Ils ont laissé un piano (pour moi, me dit-on) près des tables de dédicaces. À un moment, je me lève pour aller pianoter (à mon petit niveau) et tout d’un coup cinq ou six enfants se tiennent autour de moi, attentifs et protecteurs.
Pour les livres jeunesse quand on me dit : ah j’achèterai bien votre livre pour mon enfant mais il n’a qu’un an. J’ai toujours envie de répondre : ah mais il est prévu qu’il grandisse n’est-ce pas ?
Dans le train qui nous ramène du salon du livre de Tours je lis à Agnès (Ledig), Sophie (Fontanel) et Lionel (Duroy) le texte de Michel Foucault que j’adore et qui s’appelle Le corps utopique. C’est un texte si beau qui vient d’être réédité. Je le lisais pendant les concerts, entre deux chansons, pendant un changement périlleux de guitare ou certainement avant de chanter : Comme elle se donne, sur la scène du Réservoir dans cette grande période des concerts de 2004 à 2006.
Cette journaliste qui me saute dans les bras et qui n’a jamais été foutu d’écrire un papier sur un seul de mes livres. Chaque fois qu’elle me saute dans les bras, j’ai l’impression qu’elle me traverse.

Je pense que si un auteur aujourd’hui réfléchit en terme de rapport entre investissement personnel, ce qu’il donne de lui, de son temps de sa présence de sa peau, dans ce milieu des livres, et résultats visibles obtenus, pour la grande majorité le premier mot qui vient à l’esprit est : découragement.
Il faut donc réfléchir autrement : en terme d’œuvre. En dépit de celles et ceux qui mésestiment votre travail, et en dépit des estimations de l’immédiat.
Zoé me dit qu’elle compte faire du lapin pour dîner. Je lui dis que c’est risqué, que tout le monde n’aime pas le lapin, qu’on pourrait avoir envie de penser à Pan-Pan, le lapin dans Bambi, à chaque bouchée. Elle me répond de manière péremptoire : « Alors, je vais faire du lièvre. Un lièvre, c’est prétentieux, ça mérite d’être mangé ! »
Au début des années 2000 quand j’étais trop triste j’allais chez Sylvie et elle cuisinait du lapin, dans sa jolie cuisine qui dominait Montmartre. J’en ai même fait une chanson qui dit :
Sylvie m’a fait du lapin pour déjeuner
Dans son appartement d’Abbesses
Un doux répit dans ma journée
Tout me détruit, un rien me blesse.
J’ai toujours beaucoup aimé Sylvie, sa force, son opiniâtreté, elle ne s’est jamais découragée de rien. Après, avec Aurélie, elles ont fait ce groupe qui s’appelle Brigitte et qui a connu un grand succès.
Sandrine me dit : « Avec tous tes voyages, tout ce que tu fais, il faut que tu te requinques absolument. Que tu te reposes. » « Ah oui, lui réponds-je, je pourrais dormir sur l’épaule des filles dans les trains. » « Non, me dit Sandrine, ça c’est un repos superficiel ». « Hum, réponds-je. Sauf si ce sont des filles intelligentes ! »
Si j’avais eu assez de clairvoyance à l’âge de 15, 16 ans, assez d’acuité sur ma présence dans le monde, sur ces questionnaires de début d’année où les profs vous demandent ce que vous voulez faire plus tard, j’aurais adoré écrire : « Dormir sur l’épaule des filles dans les trains ».

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