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Bien sûr, quand vous écrivez, tout ce qui arrive et ne semble pas trouver sa place dans le roman vous paraît totalement invivable.
Dans un livre j’aime faire en sorte qu’il y ait au moins deux ou trois phrases bancales, qui ne veulent pas dire grand chose mais qui ont beaucoup de potentiel. En tant que lecteur ou spectateur s’il s’agit de cinéma je préfère d’ailleurs les oeuvres qui ont du potentiel, plutôt que celles qui prétendent m’écraser par leur perfection et qui, au bout du compte, ne m’ont donné aucun élan pour, à mon tour, mettre la main à la pâte.
Les gens qui commentent un travail littéraire doivent savoir qu’ils commentent aussi un combat entre la vitalité et la fatigue, la clarté et le doute, le crucial et l’inutile, l’amour et le désespoir.
Une jolie fille, dans le train. Quand elle baissa son masque pour boire au goulot d’une bouteille en plastique son visage se nimba de quelque chose de dur et de spectaculaire.
J’emportais son visage dans ma tête en fermant les yeux - assommé par la fatigue, les trajets. Je recomposais son visage les yeux fermés.
Dans un autre train, plus tard, un type qui souhaitait lire son journal m’a demandé si ça ne m’ennuyait pas de baisser le rideau qui court sur deux rangées de sièges. J’ai répondu poliment non, bien sûr, ça ne m’ennuie pas, et j’ai été privé de paysage. Je me suis consolé en pensant que le type allait pouvoir lire son journal peinard, les actualités dévorantes. Le genre de types qui préfèrent lire les nouvelles du monde que regarder le ciel et les paysages, alors j’ai repensé à cette fille qui était face à moi à une rangée de distance dans le train précédent, j’ai repensé à elle, j’ai essayé de recomposer son visage, ses attitudes, en m’appuyant sur une autre personne à qui elle m’avait fait penser, et cela m’a servi de ciel et de paysage.
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