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Dans le métro bondé un homme se fait marcher sur le pied par une femme qui s’excuse aussitôt. L’homme surréagit. Je le regarde pour qu’il comprenne que ce qu’il a donné à voir de lui n’est rien que la méchanceté naturelle des gens. Autre gare autre configuration : je me plais à être excessivement poli dans un monde prêt à être excessivement surpris par la moindre politesse. Je dois enregistrer une chanson cette semaine et j’hésite encore entre deux textes, le texte qui me semble le plus efficace me paraît aussi le moins intéressant. Je dois trouver l’équilibre ténu entre chanter le texte le plus efficace possible (pour la chanson) tout en m’interdisant des choses qui ne correspondent à pas grand chose, du moins que je trouve sans intérêt dans le moment du monde où j’interviens. En préparant la masterclass sur le style à l’École Les Mots, j’ai pensé à mes parents qui, du printemps à l’été, faisaient un tour du jardin le soir. Alors j’ai parlé de ça, que je suis sans doute devenu écrivain aussi parce que je fais le tour d’un texte, d’un paragraphe, d’un dialogue, comme mes parents faisaient le tour du jardin. À la fin de la conférence une fille m’apostrophe : “En fait vous n’avez pas de névroses ! Tous les autres écrivains que j’ai entendus ici, je peux nommer leurs névroses” Elle sous-entendait que je n’étais pas un véritable écrivain car selon ce qu’elle avait déduit de ma masterclass je n’avais pas de névroses. Elle ajoute : “En fait, en écrivant, vous vous amusez c’est tout !” Je n’ai pas su répondre sinon acquiescer tellement j’étais estomaqué, consterné, mais je me suis posé la question : est-ce qu’il faut vraiment être névrosé pour écrire, ou doit-on laisser la littérature au privilège des névrosés ? Bon, je n’aurais pas dû parler de mon enfance, des histoires que je créais dans ma chambre pendant que mes parents faisaient le tour du jardin. Il y a des gens à qui vous ne devriez pas faire le cadeau de leur parler de votre enfance.

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