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Writerslife (243)
Aujourd’hui, j’ai failli me faire méchamment écraser par une voiture. Aplatir comme une crêpe. Comme une crêpe ou comme Roland Barthes, rue des Écoles. Sauf que là, ce n’était pas rue des Écoles. J’ai enchaîné deux passages piétons à un croisement et un type en voiture est arrivé comme un fou et a pilé devant moi, a ouvert la vitre côté passager et a commencé à m’invectiver. Je ne sais pas pourquoi les gens qui ont la rage en eux vous tutoient direct. Comme si ils ne s’adressaient pas à vous mais directement à leur rage. Pour moi, c’est un des grands mystères de l’univers (parmi d’autres plus personnels). Donc, le type a commencé à me hurler dessus en me faisant la morale comme quoi on ne prenait pas deux passages piétons d’affilée, qu’il n’y avait pas un passage piéton en diagonale qui reliait les deux (j’ai pensé : oh, ce serait super ! Mais j’ai aussi trouvé son expertise assez pertinente si j’élude la vitesse effroyable à laquelle il arrivait). Je l’écoutais me hurler dessus voyant bien que c’est sa peur de m’écraser (20 %) et la violence ordinaire qu’il porte en lui (80%) qui l’animait. J’ai envisagé la situation, et vu que j’étais quand même + qu’engagé, sur le premier tiers du passage piétons, plutôt dans mon droit donc, tout ce que j’ai trouvé à lui répondre c’est un magistral : « Hum ! ». Et là, le type, mon « Hum ! » ça l’a rendu dingue. J’ai compris que ne sachant pas si c’était de la perplexité, de l’ironie, sachant encore moins négocier les « hum » que les virages, pour un « hum » de plus, il serait sorti de sa voiture pour me massacrer. Ayant conscience de mon peu de répondant physique face à la rage primitive - et même si j’ai passé mon adolescence à reproduire à la perfection la prise finale du Karaté Kid - et n’ayant pas envie de me faire écrabouiller ni par une voiture, ni par l’ultra violence ordinaire, surtout le jour de la journée internationale des chats, j’ai compris d’instinct qu’il fallait que ce soit moi qui m’écrase. Le mec ne m’a pas écrasé, mais si je m’écrasais, sa vision belliqueuse du monde et sa virilité retrouvées en seraient sauves. J’avais quand même envie de lui parler de la journée internationale du chat, parce qu’en traversant ces deux passages piétons, je me disais que j’allais faire un post pour l’occasion, en disant aux personnes qui me suivent sur les réseaux : « Hey , n’oubliez pas, le 15 septembre en librairie, il y a une nouveauté : mon Petit éloge des chats, vous pouvez même le précommander chez votre libraire », je pensais illustrer mon post par une jolie photo de Judith Kerr avec son chat, cela m’est revenu et j’ai eu envie de dire au type : c’est dommage une telle violence le jour où on célèbre les chats. Cette rage qui vous domine, c’est pas du tout le message des chats. Mais j’ai senti que le type était si près de me massacrer qu’il valait mieux ne rien ajouter. Comme j’étais dans mes pensées, il me crie dessus : « Vous comprenez ce que je vous raconte ? Oui ? Dites-moi que oui ! » Il s’était mis soudain à me vouvoyer. J’ai compris qu’il voulait vraiment sortir dominant de la situation - finalement, il avait très envie de m’écraser, mais sans les complications judiciaires - alors, bien que j’ai eu très envie de répondre à nouveau par un : « Hum » retentissant, j’ai dit simplement « oui », et le mec, satisfait, a démarré en trombes pour piler un peu plus loin, un peu bêtement, à un feu rouge. J’ai continué ma route en chassant de moi l’irruption de cette violence subie pour me concentrer sur mon post sur les chats.
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