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Writer’s life (107)

Il pleut des cordes où je suis, de chaudes larmes de printemps, et les réseaux sociaux sont ce matin un champ d’étoiles à la mémoire du chanteur Christophe. Il y a une dizaine d’années, il m’avait fait venir à Londres où il travaillait sur un album, après avoir écouté une chanson de Marie Amélie Seigner : « On se regardait » et après que Marie Amélie lui ait parlé de moi. Il voulait qu’on travaille ensemble. En arrivant, il m’a fait écouter sur quoi il travaillait. L’album devait sortir dans deux mois et il n’avait aucun texte. Que des yaourts avec sa voix si emblématique. J’étais prêt à travailler, à me jeter dans la mêlée des sons, mais je me souviens qu’on n’a pas travaillé du tout. On a passé la nuit entière à discuter, tous les deux enfermés dans une immense cabine des mythiques Olympic studio, où les Stones ont enregistré "Beggars Banquet", et les Beatles la chanson : "Baby you’re a rich man". Toute la nuit, il m’a parlé de son amour des femmes. Son amour passionné des femmes. En l’écoutant, je pensais à ce texte de Marguerite Duras que j’adore, qui est dans « La vie matérielle » et qui s’appelle « L’homme menti ». Je me souviens qu’il parlait très vite par moments, et à d’autres qu’il semblait chercher ses mots comme s’il devait avancer dans une forêt. Un peu ce qui arrive au piano, quand on cherche des notes ou des accords. Lui, il avait cette démarche-là, en parlant. On est resté de 23h à 6h du matin tous les deux à parler dans l’aquarium des studios, et puis il a réintégré sa chambre d’hôtel dans le quartier de Sherperd’s bush, au-dessus de Kensington. Et moi, impossible d’aller dormir, trop excité de profiter du petit matin londonien, de commencer à écrire. Il pleuvait des cordes. J’errais dans Sherperd’s Bush, je suis allé prendre un café chez un Paki, et c’est là que j’ai écrit le texte d’une chanson de Pierre (Guimard) qui s’appelle : « Deux sous la pluie ». Et je regardais les heures tourner et je n’avais qu’une hâte, que Christophe réapparaisse pour qu’on puisse commencer à travailler. Il m’avait dit qu’il adorerait écouter le dernier album de Radiohead, alors je me souviens être allé lui acheter, quelque part dans Londres. Et la seconde nuit où nous devions travailler, au lieu de travailler, nous l’avons passée à écouter l’album de Radiohead et à parler encore, beaucoup, de ce que nous aimions dans l’existence et qui constitue en quelque sorte ce que nous sommes. En rentrant à Paris, je lui ai envoyé quelques idées mais, au final, on n’a pas réussi à trouver lui et moi la fréquence qui nous aurait permis de faire des chansons valables, intemporelles, magiques, ou juste superbes à écouter par une nuit suspendue à Londres. Je me souviens de ce moment hors du temps avec lui, dans cette ambiance si particulière des Olympic studios entièrement désertés à des heures magiques que lui seul avait l’habitude et le luxe d’arpenter.

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